Archéologie - Pas-de-Calais le Département
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Feuchy, Tilloy-lès-Mofflaines, Saint-Laurent-Blangy, Extension de la ZI Est, 2023, diagnostic, habitat, artisanat, ouvrages militaires et religieux...

Les résultats du diagnostic de l’extension de la ZI Est viennent compléter les découvertes adjacentes faites entre la fin des années 1970 et les années 1990. Il s’agit des opérations archéologiques menées en amont des projets de l’usine Häagen Dazs au sud-ouest de notre emprise, de la RD 260 et l’ensemble de la ZI Est à l’ouest et de la ZI IV au nord. En l’absence de rapports finaux d’opération ou de publications monographiques des sites, les informations recueillies sont lacunaires et principalement issues des notices des bilans scientifiques régionaux (Jacques 1992 ; Jacques 1993 ; Jacques et al. 1997), de la carte archéologique de la Gaule (Delmaire 1994) et de quelques articles ciblés (Jacques, Rossignol 1995). L’absence de plans phasés et de descriptions complètes des nombreux vestiges alentours a parfois limité la remise en contexte des occupations découvertes en 2023 dans leur terroir de proximité.

Sur les 50 hectares concernés par l’extension de la ZI Est ont été mises en évidence 6 phases d’occupation entre le début de l’âge du Bronze, aux alentours de 2 000 avant notre ère, et la Première Guerre mondiale. Les principaux sites découverts concernent un ensemble de structures à pierres chauffées du Bronze ancien, un habitat rural à la transition entre le Bas-Empire et le haut Moyen Âge, un ensemble architectural médiéval ou moderne et une partie des ouvrages fortifiés des guerres de siège du 17ième siècle. Par ailleurs sont localement identifiés quelques vestiges erratiques protohistoriques, Hallstatt et laténiens ; mais également Haut-Empire, notamment un four de potier. Les traces de l’organisation parcellaire gallo-romaine restent fugaces. Pour la période contemporaine, l’emprise étant située sur la ligne de front de la Première Guerre mondiale, les vestiges de tranchées et de bombardements sont extrêmement nombreux. Dans l’une des tranchées de guerre, la découverte des corps de 3 soldats reste un moment émouvant de cette opération.

Les structures à pierres chauffées du début de l’âge du Bronze

Sur une superficie d’environ 2 500 m² au sud de l’emprise, un total de 8 potentielles structures de combustion à pierres chauffées a été mis au jour, rassemblées dans un espace vraisemblablement dédié à une activité de cuisson. Même s’il est délicat de déterminer une organisation précise de cet ensemble, Les fosses présentent un certain alignement en arc de cercle, et éventuellement deux rangées. Le tout est associé à une vaste fosse centrale, probablement antérieure aux structures de combustion les plus récentes. Le site semble se poursuivre au nord-ouest et au sud-ouest de la fenêtre.
Les structures à pierre chauffées se présentent sous la forme de fosses sub-rectangulaires dépassant les 1 m de long, peu profondes, et dont les niveaux de comblement sont recouverts par une sole de pierres, ici en grès. Deux de ces fosses ont été testées. Pour la première, les trois-quarts des pierres présentent des traces de chauffe en partie inférieure, débordant parfois latéralement, confirmant la présence du combustible sous le niveau de pierres. Toutefois, les résidus charbonneux se concentrent en paquets et ne sont pas systématiquement sous les pierres, ce qui témoigne d’un prélèvement partiel de blocs après la dernière utilisation. De plus, la sole est discontinue, suggérant également des prélèvements volontaires de pierres. La seconde fosse a fait l’objet d’un nettoyage de surface soigné, mais sa fonction reste indéterminée. En l’état, il pourrait s’agir d’un foyer à pierres chauffées en place ou d’un rejet de foyer, au vu du faible nombre de pierres et de leur agencement lâche. Les datations radiocarbone réalisées sur les deux structures permettent d’attribuer ces fosses à la période de l’âge du Bronze ancien.
Cette occupation est particulièrement remarquable, tant dans sa nature que dans sa datation, et s’intègre dans l’axe 5 de la nouvelle programmation nationale (CNRA 2023 : 54-65). Les structures à pierres chauffées commencent à être connues et de mieux en mieux documentées, mais leur conservation est rare dans la région, surtout pour le Bronze ancien, période où les découvertes restent peu nombreuses. La fouille approfondie de ce type de vestiges ne peut être menée dans le cadre d’un diagnostic, car elle nécessite la mise en place d’un cahier des charges méthodologique précis sur le terrain, accompagné d’analyses complémentaires en laboratoire (anthracologie, approche métabolomique des résidus organiques chauffés et datations radiométriques). Un enregistrement complet sur le terrain permet de s’intéresser aux modes de construction de ces structures, à la gestion des pierres au cours du temps et de ce fait, retracer l’évolution du site. La campagne de datations systématiques a pour objectif d’appréhender la succession des fosses à pierres chauffées dans le temps, qui semble déjà attestée par le décalage des datations radiocarbone obtenues lors du diagnostic. Les analyses sur les résidus organiques et les charbons de bois visent à déterminer la fonction de ces foyers, domestique ou artisanale. Une remise en contexte local avec les éventuelles découvertes contemporaines réalisées sur les opérations antérieures permettrait de mettre à jour le contexte archéologique arrageois pour la Protohistoire ancienne.

Un habitat rural ouvert à la transition entre le Bas-Empire et le haut Moyen Âge

À la transition entre le Bas-Empire et le haut Moyen Âge, un habitat rural s’installe au nord-ouest de l’emprise, probablement en aire ouverte, sur une surface d’environ 1,5 hectare. Dans le cadre du diagnostic, il a été possible de détecter la présence d’un espace concentrant de possibles bâtiments sur poteaux, un silo, un four de potier et au moins un fond de cabane avéré, ainsi que 4 autres fonds de cabane potentiels. Il est difficile de déterminer, à ce stade, si cette occupation prend place sur une occupation gallo-romaine précédente. La présence d’indices matériels du Haut-Empire suggère une possible installation humaine antérieure in situ ou dans un périmètre proche.
Cette occupation présente plusieurs intérêts scientifiques développés dans l’axe 7 de la nouvelle programmation nationale (CNRA 2023 : 78-95). À l’échelle du site, l’étude approfondie de cet établissement rural constitue un jalon entre les unités rurales dispersées antiques et l’organisation villageoise médiévale. Les activités économiques, par la caractérisation des productions agricoles et artisanales de cette occupation, sous-tendent une intégration dans un réseau territorial plus large qu’il convient de documenter le plus finement possible. L’étude de la culture matérielle, et particulièrement la céramique, illustre la difficulté de caractériser les assemblages, où la production emprunte largement au vaisselier romain. La caractérisation de certains faciès les plus évidents, à l’image de la céramique dite « germanique » constitue les principaux traceurs typo-chronologiques. Toutefois, la question de la germanisation réelle des campagnes du nord de la Gaule reste posée.
De manière générale, ce site se rapporte à une période de transition, où les installations humaines sont plus rares ou plus difficiles à mettre en évidence, et qui interrogent de manière plus globale sur les territoires ruraux antiques et médiévaux, les continuités d’occupation ou la création de nouveaux pôles de peuplement.

Un ensemble architectural médiéval ou moderne

À l’est de l’emprise, une occupation concentrant plusieurs structures fossoyées et bâties est observée. Les deux ensembles maçonnés regroupent un édifice octogonal, jouxté d’un mur semi-circulaire et une structure circulaire excavée. Le bâtiment octogonal mesure 15,50 m sur 12,50 m, avec une surface interne d’approximativement 72 m². La tour présente un diamètre externe de 5,40 m et une surface interne estimée à 12 m².
À l’issue du diagnostic, son identification reste incertaine. Plusieurs hypothèses sont proposées et discutées dans le rapport de diagnostic, à savoir la fonction artisanale (moulin), domestique (colombier), religieuse ou militaire / défensive. Celles-ci devront être approfondies en cas de fouille préventive ou de projet de recherche / publication.
L’édifice octogonal pourrait caractériser un moulin à base polygonale, même si la présence de la fondation semi-circulaire interroge pour ce type de construction. D’une manière générale, ses dimensions se rapprochent plutôt des constructions médiévales que des moulins modernes, et plus particulièrement du moulin de Sacy-le-Petit (Durand et Vanhaeke 1987) en activité entre le 13ième et le 15ième siècle.
Concernant la structure circulaire, son plan trouve des analogies avec les fondations du moulin de Saint-Sauveur (Soupart 2008) ou du pigeonnier de Conchil-le-Temple (Cercy et al. 2017). Le caractère excavé de la construction n’est pas discriminant pour caractériser un moulin, à l’image de celui de Saint-Sauveur.
Les deux propositions avancées de moulin ou de colombier méritent d’être replacées dans leur contexte historique et environnemental précis. Les études du mobilier céramique et de la stratigraphie ont livré un terminus post quem de l’installation de la structure octogonale au 10ième siècle. Les références littéraires mentionnent la présence d’un bois au niveau de l’emplacement de cet ensemble architectural, et ce au moins depuis le 11ème siècle. Des épisodes de déboisement sont possibles, dont d’importantes coupes mentionnées à la fin du 15ième siècle, mais le couvert forestier semble avoir rapidement repris sa place par la suite. Si les édifices se rapportent à une fonction meunière, une étude géohistorique d’envergure sera nécessaire pour comprendre quand ce moulin a pu être érigé, sachant qu’il ne peut pas être antérieur au 12ième siècle et qu’aucune trace cartographiée de ce moulin au 18ième et 19ième siècle n’a été retrouvée. La restitution du paysage médiéval et moderne du bois de Mofflaines permettrait de retracer son extension géographique et son évolution au cours du temps. Des prélèvements carpologiques ou anthracologiques pourraient être envisagés au vu de la diversité des activités possibles (mouture, fabrication d’huile, pompe, foulages des textiles, etc).

Le monument à plan octogonal pourrait aussi témoigner d’une activité religieuse dans le bois de Mofflaines. Les correspondances architecturales avec les chapelles à base octogonale sont convaincantes. La présence de la résidence de la Cour-au-Bois à proximité donne au lieu une forte imprégnation religieuse. Il serait possible que l’abbaye d’Arras ait fait ériger, sur ses terres de Mofflaines, un oratoire ou une chapelle à destination des fidèles vivants aux alentours.
L’étude historique a permis de localiser avec précision le domaine de la Cour-au-bois, à proximité immédiate du diagnostic, au sud de la partie principale. Les mentions archivistiques permettent de documenter ce lieu à partir du début du 16ième, où il semble se rapporter à une résidence secondaire pour les abbés d’Arras, y détenant effectivement une église, un moulin, un colombier, etc.
Lors des sièges d’Arras de 1640 et 1654, la ferme de la Cour-au-Bois est fortifiée et intégrée aux lignes défensives. Aucun autre ensemble architectural situé à l’est des fossés de circonvallation n’est figuré à l’emplacement correspondant à l’édifice octogonal et les structures associées, permettant de proposer une fonction militaire ou défensive à cet ensemble architectural.
Ces constructions médiévales ou modernes renvoient sans nul doute à l’axe 10 développé dans la nouvelle programmation nationale sur les lieux de pouvoir (CNRA 2023 : 130-141). Les recherches concernant la diversité structurelle de l’habitat élitaire, tout particulièrement en milieu rural, sont soutenues. Les élites religieuses, en partie exclues de l’ancienne programmation, sont mises en avant, dans la perspective de documenter les espaces sur lesquels elles s’installent et qu’elles contrôlent. La question des liens entretenus avec les autres élites, notamment civiles, constitue des axes d’études également encouragés.

Les lignes de circonvallation des sièges d’Arras de 1640 et 1654

Les édifices octognal et circulaire se situent à moins de 30 m des lignes de fortifications modernes remontant aux sièges d’Arras. Même si aucun lien fonctionnel ne semble s’établir entre les deux sites, la chronologie entre les deux occupations pourrait être précisée. Si l’ensemble architectural est antérieur aux lignes de circonvallation, les sièges ont-ils été la cause de sa destruction ? A contrario, est-ce la déforestation de la fin du 17ième siècle qui a permis l’installation de ces édifices ?
Concernant les fortifications proprement dites, le diagnostic a permis d’établir qu’il s’agit des lignes de circonvallation, soit le réseau de défense continu externe mis en place autour d’Arras. Les 2 fossés de circonvallation mis en évidence traversent toute la partie centrale de l’emprise du diagnostic, du nord au sud. L’archéologie de la guerre de siège est un champ de recherche en expansion, principalement documentée par les fouilles récentes d’Aire-sur-la-Lys, Valenciennes et Saint-Germain-en-Laye (Hurard et al. 2014)). Si la périphérie de la ville d’Arras livre régulièrement des données nouvelles concernant l’architecture militaire du 17ième, ces informations restent limitées au diagnostic et aucune fouille n’est venue prolonger la compréhension de ces vestiges (Dalmau et Meurisse-Fort 2014 ; Dalmau et al. 2023). Sur le diagnostic de la ZI Est, les fossés montrent un parcours étonnamment sinueux, interprété à l’issue du diagnostic comme une forme d’adaptation environnementale liée au contexte forestier du secteur. Mais la validité de cette proposition mériterait d’être documentée et approfondie. De même, certaines structures restent incomprises à l’issue du diagnostic comme une possible fosse-citerne. Par ailleurs, d’autres fossés n’appartenant pas aux lignes de circonvallation ont été identifiés et ne sont pas cartographiés sur les plans de sièges. Ils pourraient caractériser un redan et/ou appartenir à d’autres tracés non cartographiés sur les plans de sièges, tels que des tranchées d’approche (Hurard et al. 2014). Dans ce cas, ce type de réseaux de fossés en zigzag est difficile à détecter et, à l’heure actuelle, uniquement documenté à Saint-Germain-en-Laye, en contexte d’entraînement. Si elle venait à être confirmée, cette donnée illustrerait la précocité de ce dispositif militaire, aujourd’hui attesté en 1669 à Saint-Germain-en-Laye et en 1673 à Maastricht. Pour rappel, les sièges d’Arras ont eu lieu au moins 15 ans plus tôt, en 1640 et 1654.
Enfin, des guerres de siège « subsistent essentiellement deux types de vestiges : les vestiges de l’engagement tactique liés aux pratiques de poliorcétique, au combat ou à l’exercice (tranchées, mines, fossés, fortifications) ; les vestiges du stationnement des troupes, relatifs aux pratiques de castramétation (baraques, tentes, caves, latrines ou puits) » (Hurard et al. 2014). Sur la ZI Est, le premier type a été aisément identifié lors du diagnostic, à savoir l’ouvrage fortifié. Le second reste problématique. Bien qu’aucune trace de campement n’ait été clairement mise en évidence, leurs vestiges fugaces ont pu être négligés, voire confondus avec des structures de la Première Guerre mondiale.
En effet, les vestiges de la première Guerre mondiale sont omniprésents sur l’ensemble de l’emprise, avec de nombreuses tranchées de guerre et impacts de munition. La découverte de trois corps de soldats enterrés à la hâte dans une tranchée s’ajoute aux 7 autres retrouvés par les démineurs lors de la dépollution pyrotechnique.
L’archéologie des conflits constitue l’axe 10 de la nouvelle programmation nationale (CNRA 2023 : 166-177). L’intérêt est aussi bien porté sur l’archéologie des conflits contemporains que de la guerre de siège. Pour la Première Guerre mondiale, les enjeux scientifiques se heurtent à la charge symbolique et mémorielle que recouvrent les vestiges découverts. Les sépultures trouvées sur l’extension de la ZI Est ont été prises en charge par les autorités britanniques, afin d’identifier les corps et commémorer la mémoire des soldats morts au combat (CNRA 2023 : 175, § 3.3.1). Concernant les vestiges des sièges d’Arras, ils s’insèrent dans les dynamiques scientifiques proposées par le CNRA, à savoir la documentation des architectures militaires de terre et de bois et la construction de « référentiels typo-chronologiques des structures de défense, d’attaque et de vie sur les terrains d’affrontements [...] » (CNRA 2023 : 177).

Vue aérienne des tranchées

Référence du rapport

Panloups et al., 2023 : Élisabeth Panloups, Axel Beauchamp, Dimitri Boutteau, Anthony Carneaux, Christelle Costeux, Orianne Dewitte, Emmanuelle Leroy-Langelin,

Feuchy, Saint-Laurent-Blangy, Tilloy-lès-Mofflaines (Pas-de-Calais), « Extension de la ZI Est », habitat, artisanat, ouvrages militaires et religieux de -2000 à aujourd’hui,

Rapport final d’opération de diagnostic, Dainville : édition Direction de l’Archéologie du Pas-de-Calais, 392 pages, 213 figures.